Confiscation des biens du clergé


Déjà avant la Révolution les finances royales sont dans un état catastrophique avec une dette évaluée entre 4 et 5 milliards de livres et la moitié du budget royal sert à résorber la dette qui ne fait qu’augmenter et à servir de rente pour diverses personnes. Le risque de banqueroute est grand et il faut de l’argent ; le député Talleyrand propose l’idée de confisquer les biens du clergé (et non pas de les nationaliser car aucune indemnité n’a été versée en échange.). C’est ainsi que le 2 novembre 1789, l’Assemblée Nationale Constituante décide que tous les biens du clergé seront « mis à disposition de la Nation ». Ces biens seront dorénavant des biens nationaux, destinés à être mis aux enchères pour remplir les caisses de l’État.
Cet apport de patrimoine, évalué entre 2 et 3 milliards de livres1, constitue un gain considérable pour les finances publiques. La mise en vente est confiée à la Caisse de l’Extraordinaire créée le 19 décembre suivant et définitivement organisée le 6 décembre 1790.
La vente de tant de biens prend du temps, au minimum un an. C’est un délai beaucoup trop long, les caisses de l’Etat sont alors vides et la faillite arrivera bien avant que tout ne soit vendu.
C’est ainsi qu’est décidé de créer, le jour même de la création de la Caisse de l’Extraordinaire, des billets dont la valeur est assignée sur les biens du clergé. L’assignat est né.

Le fonctionnement de l’assignat est simple : comme il est impossible de vendre tout de suite les biens du clergé, des billets seront émis, qui représenteront la valeur de ces biens. Toute personne qui désire acheter des biens nationaux doit le faire avec des assignats, il faut donc avant tout que les particuliers achètent des assignats auprès de l’État, c’est ainsi que la rentrée d’argent se fait. Une fois la vente effectuée, de retour dans les mains de l’État, les assignats doivent être détruits. Ainsi, la rentrée d’argent frais est bien plus rapide que s’il fallait attendre que les biens soient véritablement vendus.
Les premiers billets émis ont une valeur de 1 000 livres. Une valeur si importante ne les destine pas à servir de billets pour la population, mais à être thésaurisés par des particuliers, leur but étant uniquement de faire rentrer tout de suite de l’argent dans les caisses de l’État. La valeur totale de la première émission sera de 400 millions de livres.
L’idée est loin de faire l’unanimité au sein de l’Assemblée nationale constituante, certains rappelant la banqueroute du système de Law. C’est ainsi que des députés comme Talleyrand, Condorcet ou encore Du Pont de Nemours sont entièrement contre. Pour eux, le problème majeur de l’émission d’assignats est qu’il ne faut pas qu’il y ait plus d’assignats en circulation que la valeur des biens nationaux. Or, à cette époque, les billets sont facilement falsifiables. Il y a donc un fort risque de retrouver en circulation une quantité bien plus importante d’assignats que ce qu’il doit véritablement y avoir, et par ailleurs les assignats émis par les faux-monnayeurs n’apporteront pas de revenus à l’État. Dans un tel cas, les assignats ne vaudront plus rien.
Dès le début de 1790, les premiers ratés surviennent. Le 30 mars, Anne –Pierre de Montesquiou-Fezensac déclare au sujet des assignats que c’est « le plus coûteux et désastreux des emprunts ».
Le 17 avril, l’assignat est transformé en un papier-monnaie. Et l’État, toujours à court de liquidités, l’utilise pour toutes ses dépenses courantes. La machine s’emballe… L’État ne détruit pas les assignats qu’il récupère ; pire, il imprime plus d’assignats que la valeur réelle des biens nationaux. Jacques Necker, alors ministre des finances, résolument contre la transformation de l’assignat en papier-monnaie, donne sa démission en septembre.
L’assignat perd 60 % de sa valeur de 1790 à 1793.
Bien que l’assignat voie sa valeur réduite, les enchères des biens nationaux restent tout de même très élevées et seules les personnes aisées peuvent les acheter. C’est ainsi que certains s’enrichissent énormément et achètent d’immenses terrains et bâtiments pour presque rien, en comparaison de leur valeur réelle. La surévaluation légale de l’assignat permet d’acheter des biens par conséquent sous-évalués.
Pour soutenir l’assignat, plusieurs lois successives sont votées, toujours plus dures, comme la fermeture provisoire de la Bourse de Paris (décret du 27 juin 1793) et la fin de la publication des taux de change en 1793, de manière à limiter la spéculation, mais aussi de lourdes amendes et de graves peines d’emprisonnement pour toute personne surprise à vendre de l’or ou des pièces d’argent ou traitant différemment la monnaie de papier et les métaux précieux, ce qui comprend le refus d’un paiement en assignat. Le 8 avril 1793, la Convention décide que les prix de tous les achats et marchés conclus avec l’État seront stipulés uniquement en assignats, mesure étendue le 11 au secteur privé.
Dès les premiers jours de la Terreur, le 8 septembre 1793, la non acceptation de l’assignat est déclarée passible de la peine de mort, les biens sont confisqués et le délateur récompensé. Le 13 novembre 1793, le commerce au moyen des métaux précieux est interdit. En mai 1794, toute personne qui aurait demandé en quelle monnaie le contrat serait conclu doit être condamnée à mort.
Malgré tout cela, les pouvoirs politiques ne savent pas faire face à la crise économique qui arrive et l’État continue d’émettre de plus en plus d’assignats, pour financer la guerre. Le nombre d’assignats fabriqués correspond à une valeur de 2,7 milliards de livres en septembre 1792 et 5 milliards en août 1793. Au début de 1794, les assignats émis passent à 8 milliards. Toutefois, les autorités ont fini par comprendre que la dépréciation continue des assignats était due à l’excès des émissions. Aussi une partie est-elle retirée de la circulation à partir de 1793 au moyen de l’emprunt forcé. En retranchant les sommes rentrées et brûlées, il n’en reste en circulation que 5 milliards et demi. En juin 1794, la création d’un nouveau milliard d’assignats, d’une valeur allant de 1000 francs à 15 sous, est décrétée, dans le même temps qu’un emprunt forcé sur les riches de 100 millions est lancé par le comité des finances. Après de nouvelles émissions, les assignats mis en circulation passent de 10 milliards en août 1795 à près de 45 milliards de livres en janvier 1796, alors que la somme totale des assignats n’aurait jamais dû dépasser les 3 milliards, valeur des biens du clergé. La cause de l’inflation réside dans la surproduction des assignats, le contrôle des prix ne permettant pas de baisser ceux-ci mais ayant pour effet de créer la pénurie.
Un grand nombre de faux assignats, fabriqués en Belgique, en Hollande, en Allemagne, en Suisse et en Grande-Bretagne, avec la complicité du gouvernement britannique, alors le plus grand ennemi de la France, intéressé à accélérer la crise économique française, ont inondé la France.
Sur décision du Directoire, l’assignat est finalement abandonné avec faste lorsque les planches à billets, les poinçons, les matrices et les plaques sont brûlés en public place Vendôme, le 30 pluviôse an IV de la République (19 février 1796)
Le 18, l’assignat est retiré de la circulation contre un nouveau billet : le mandat territorial. L’échange se fait sur la base de 30 francs assignat contre 1 franc mandat, au lieu de 300 contre 1, sa valeur réelle, ce qui condamne le nouveau titre dès son émission. Le mandat territorial connut plus ou moins la même histoire que l’assignat, sa dépréciation se fit bien plus rapidement que pour son prédécesseur. Le 4 février 1797, il fut retiré de la circulation et la monnaie sonnante et trébuchante reprit sa place.
L’assignat est généralement considéré comme un pur échec. Cependant, sa création a non seulement empêché la faillite quasi immédiate de l’État français mais contribué à la réduction de la dette et permis de trouver l’argent nécessaire au financement de la guerre dans les heures difficiles de l’an II.
L’impuissance du gouvernement à combattre l’inflation par des sanctions toujours plus lourdes illustre, pour l’économiste Thomas DiLorenzo, le caractère néfaste d’une politique de contrôle des prix.
On peut donc dire des assignats qu’ils furent économiquement un échec. Jacques Bainville, écrivain et historien royaliste, explique ainsi dans son Histoire de France que la révolution française avait aggravé la crise financière par laquelle elle était née. Politiquement et socialement, les assignats permirent un massif et large transfert de propriété en un temps très réduit. Surtout, les assignats attachèrent au nouveau régime tous les acquéreurs de biens nationaux qui redouteront désormais le retour de la Monarchie.
Le peu de difficultés à imiter cette monnaie (la papeterie était à Jouy-sur-Morin, avec la présence de surveillants du timbre) fut en quelque sorte un encouragement aux faussaires, aussi en fabriquait-on un peu partout. D’après des témoignages de l’époque, on trouvait des imprimeries rudimentaires jusque dans les prisons. La plupart des faux étaient assez grossiers et facilement reconnaissables, mais d’autres étaient pratiquement indécelables ; c’était notamment le cas des faux imprimés à Londres. Les ennemis de la République encourageaient en effet l’impression de fausse monnaie ne pouvant qu’entraîner la ruine de la France. L’atelier londonien avait été fondé par des notables vendéens sous la direction du comte Joseph de Puisave et le patronage du duc d’Harcourt. Il produisait à plein rendement, et lorsque vint la déroute vendéenne après la défaite de Quiberon, Lazare-Hoche annonça dans son rapport qu’il avait saisi dix milliards de faux assignats dans les bagages de l’armée vaincue.
À l’époque contemporaine, des faux ont ensuite été fabriqués pour le marché des collectionneurs. C’est ainsi que l’on parle parfois de « vrais faux » assignats (les faux d’époque) par opposition aux faux actuels.

JD. Birebont, septembre 2008

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